Christian Globensky Série MAMCO Photographies, 2018

 

« Christian Globensky prélève des fragments visuels dans l’ordonnancement général de l’espace de monstration révélant par un travail minutieux et précis des zones, des articulations spatiales et surtout des fantômes de l’histoire de l’art. Il nous propose en fait une expérience qui se situe à l’extrême limite du champ d’investigation de la phénoménologie qui explora au moyen de l’époché, ce suspens censé nous ouvrir les portes de la perception juste, la possibilité de percevoir et de comprendre que ce que nous regardons est aussi une entité, vivante ou non, qui nous regarde. Reliant le regard à son objet par une proximité visuelle intense, il renverse notre suffisance en l’exhibant comme confrontée à la source d’un doute à la fois esthétique et existentiel. En effet, là, dans le white/black cube, ce double de notre conscience esthétique et morale, Christian Globensky traque les ombres des fantômes qui nous hantent. Car au-delà même de la possibilité offerte à “ la chose “ de nous regarder, c’est l’au-delà comme objet de notre hantise qu’il tente de rendre enfin visible. » Jean-Louis Poitevin

« Le white cube, c’est l’une des parts de non-dit d’un dispositif énonçant le caractère sacré de l’art — à cet égard, l’autoritaire « On ne touche pas » du musée tisse de subtiles correspondances avec le « Noli me tangere » de Jésus ressuscité à Marie-Madeleine. Il crée une distinction entre l’artistique et le profane, son seuil apparaissant comme une frontière, où notre monde cesse, et s’ouvre à un autre, celui qui opère la fusion entre la matière et l’idée (l’incarnation ?), le concept et la forme. Ce trope architectural répond à un besoin, celui de disposer d’une universalité de monstration, conséquence d’un écosystème artistique globalisé et producteur de formes supranationales. Ainsi, le white cube est-il devenu le lieu plastique de l’interchangeabilité et du nomadisme, c’est l’anti hic et nunc, puisqu’il offre partout et tout le temps, en tout cas depuis plusieurs décennies, un support équivalent aux artistes.

Équivalent, mais pas identique. S’il répond à cet impératif universalisant, le modèle s’incarne à chaque fois dans des espaces différents — et c’est bien ce dont témoigne le travail d’investigation photographique de Christian Globensky. L’une de ces formalisations, et dont le MAMCO est un des exemples les plus poignants, consiste en la reprise du patrimoine d’une industrie en déshérence — le post-industriel comme laboratoire du post-moderne. Jeter le white cube dans l’usine, ce n’est pas anodin. D’abord dans cette tension forte entre l’impératif de neutralité et les traces souvent laissées visibles d’un espace de production — au MAMCO dans une esthétique toute japonaise, « wabi-sabi », qui fait de la trace et de l’altération par le temps un principe esthétique clé, comme en attestent les empreintes des machines, bien visibles sur le sol, recueillies par Christian Globensky.

L’industrie, comme le white cube, fonde son pouvoir sur l’objet. Néanmoins, les deux se distinguent en tant que l’industrie est productrice d’objets, le white cube d’attitudes à leur égard. Mais dans cette transition, temporelle et générique, l’espace de l’usine change-t-il simplement sa production, abandonnant l’objet au profit du sens ? Ou est-ce l’inverse ? Ne peut-on pas voir là-dedans le triomphe de l’art comme objet, avec une valeur, d’usage et d’échange, et le white cube comme légitimation sacralisante de l’esprit néo-libéral qui souffle sur l’art contemporain ? Un trope inertique, qui légitime tout, et crée lui-même de l’inertie ? »

Clément Thibault

À quoi ressemblerait la vie si elle était un musée ? À une prison ? Un monastère ? Une école ? Un champ de bataille ? Un gymnase ? Ou encore une salle de cinéma, à une machine à remonter dans le temps ou à un laboratoire du futur. Peut-être n’y a-t-il rein de véritablement nouveau à échafauder pour comprendre nos vies ? Ce qui serait plutôt rassurant, d’une certaine manière. C’est dans la répétition qu’il faut se réinventer. Comme s’il s’agissait de se dévoiler au travers de cette répétition. D’accepter sereinement l’idée que l’homme est précisément cette créature imparfaite qui naît de sa répétition.

C’est dire qu’il faut être de plus en plus conscient qu’un au-delà de la finitude est à protée de main. Et en déduire aussi, que toutes les salles de musée à venir, seront vécues simultanément comme la naissance et l’aboutissement d’un projet déjà achevé, résolu et autonome. Être à la fois totalement investi et spectateur de ce qui advient. Se dire que l’on pourra toujours pressentir légèrement à l’avance ce que nous réserve la prochaine salle, tant et si bien, que les événements m’apparaitront comme les fruits de ma propre volonté. Peut-être s’agit-il, enfin de compte, de reparcourir pour la millième et une fois ce même musée vivant qu’est ma vie ?

À l’origine le bâtiment du MAMCO était une ancienne usine de la Société genevoise d’instruments de Physiques (appareils de mesure, jumelles, boussoles, etc.). Cette construction accueillait donc une activité industrielle qui nécessitait de vastes espaces hauts de plafond pour recevoir les machines, de grandes baies vitrées pour laisser passer la lumière et une machinerie pour le transport vers/sur les étages des matériaux de fabrication et des marchandises. Aujourd’hui, des éléments rappelant l’usine, tels que les néons en bandeaux au plafond, les grandes fenêtres à carreaux, ce sont sûrement les traces de machine sur le sol des étages qui interpellent avant tout.

Christian Globensky

Galerie 4M2 MAMCO GLOBENSKY 2019