En lien avec le fil de saison de programmation Draw Loom et la politique de documentation visuelle du centre d’art, Christian Globensky a été invité à effectuer sur 2021 et 2022 une micro-résidence composée en trois temps (hiver, printemps et été) afin de produire une documentation singulière – littéralement détaillée et décalée – des espaces du centre d’art, qui entre profondément en écho avec une des particularités de sa démarche artistique.

Christian Globensky
Les Tanneries – Centre d’art contemporain, 2021-2022
Photo : Christian Globensky
Courtesy des Tanneries – CAC, Amilly
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« Une vision détaillée »
Chaque métier nécessite un outil spécifique et le bâtiment qui l’abrite s’y plie la plupart du temps, sa physionomie rend compte de l’organisation du travail qui s’y déroule dans ses proportions et selon l’organisation de sa logistique. Qu’est-ce qui distingue entre eux des espaces ayant diverses destinations professionnelles affectés à la réception d’un public particulier ? Quels sont les spécificités et règles respectées par les dirigeants des dits établissements qui permettront à l’usager d’en percevoir au premier coup d’œil et à coup sûr l’usage des bâtiments ? Généralement nous y trouvons des espaces d’accueil avec comptoir et hôtesse ou employé particulier prêt à répondre aux questions du visiteur. Un cheminement propre est le plus souvent réservé aux personnes à mobilité réduite ou le trajet leur est adapté, un autre parcours est, lui, réservé aux employés formant le cœur du personnel travaillant dans la structure, bien distinct du passage des invités ou clients. Le sens de circulation est la plupart du temps matérialisé par un système de fléchage, de marquage, de signalétique propre indiquant la direction de la déambulation. Un mobilier adapté et caractéristique répond à la destination du lieu et à son emploi.
Habitués que nous sommes à pénétrer dans de tels univers, nous repérons immédiatement ce qui nous met sur la piste des rites et coutumes qui régissent de tels dispositifs, notre œil, simultanément à notre cerveau, comprend instantanément que nous nous trouvons dans une école, un hôpital, une usine, un musée ou un centre des impôts. Faisant abstraction de l’ancienne destination des tanneries, construites en 1947 afin d’améliorer le rendement industriel de la production de cuir d’équipement et d’ameublement pour fournir au mieux l’armée, de son état intermédiaire de friche envahie par des artistes et de sa transformation en centre d’art, l’artiste plasticien Christian Globensky tourne quelque peu le dos à cette aventure architecturale et sociétale. Au fil d’une micro-résidence effectuée en trois temps, hiver 2021 et printemps et été 2022, il entreprend de donner à voir Les Tanneries – Centre d’art contemporain selon son propre prisme.
Par une absence totale de la représentation classique d’un tel bâtiment, il interroge sur la fonction d’un établissement culturel. Dans ses prises de vues dans les institutions muséales, ce ne sont pas elles, ni le statut qu’elles représentent, qu’il va chercher à rendre perceptible. Non. Ce qui l’intéresse est ce qui se passe dans les marges, les coins et les recoins, les angles et les renfoncements, ce que l’œil, ou plutôt, dans son cas, l’objectif de l’appareil, va débusquer de ce qui n’indique pas du tout ce qui se passe dans un centre d’art. Il s’applique à soustraire tout ce qui correspond à l’activité autour des œuvres exposées pour mieux rendre compte du lieu hors connotation culturelle. L’activité de photographe de Christian Globensky n’est pas celle d’un reporter ou documentariste, il ne fictionnalise pas non plus, il se contente de rendre visible en proposant un regard décalé sur le réel de l’activité du centre.
Sa pratique ne s’inscrit pas pour autant dans la démarche engagée par un certain nombre d’artistes de la fin des années 1960 et des années 1970 qui s’attaquaient à l’institution muséale, la décriaient et la considéraient comme mortifère pour les œuvres. Le musée, support privilégié de l’élaboration du discours culturel, était devenu, lui-même, l’objet de nombreuses critiques. Longtemps considéré comme un sanctuaire supposé neutre pour l’œuvre d’art, son fonctionnement a été analysé et remis en cause par certaines pratiques artistiques et sujet d’étude d’une pensée critique. « Les musées sont les sépultures familiales des œuvres d’art » énonce sans détour Theodor Adorno. Et c’est précisément en réponse à ces critiques acerbes que sont nés les premiers centres d’art contemporain en France dans ces mêmes années. Conçus comme des lieux de recherche et de création, ces lieux de production et de diffusion de l’art contemporain entretiennent des rapports privilégiés avec la création artistique vivante et se tiennent au plus près de l’actualité artistique. Le but avoué est de mettre l’art à la portée du plus grand nombre et de le rendre ouvert.
Or justement, Christian Globensky choisit délibérément de nous montrer un centre d’art vidé de ses œuvres, comme de son public, tout autant que de son personnel. Aucune pièce exposée ou entreposée n’est visible, pas plus que n’apparaissent les êtres humains. Alors me direz-vous, que voyons-nous ? Des détails. Qu’il soit découvert de manière fortuite ou immédiatement identifié, peu à peu ou directement, scruté, isolé, détaché de son ensemble, le détail offre une tout autre manière de voir et d’appréhender l’espace en oubliant sa destination. Mettre un peu de côté ce qui fait l’ADN des Tanneries, comme l’a fait déjà auparavant Christian Globensky avec d’autres centres d’art, c’est proposer un angle d’attaque sans attache particulière, mais décalé et pertinent. Un angle à travers lequel, paradoxalement, ce même ADN affleure ici et là, à la faveur des détails architecturaux qui ont nourri la construction de l’identité du centre d’art, visuelle comme artistique.
Par son pas de côté, ses écarts ou sa résistance, l’artiste nous fait éprouver l’attention qu’il porte au réel et à la réalité du centre d’art ; un regard qui permet des découvertes et des questionnements et nourrissent l’expérience que peut en faire le visiteur. « Que se passe-t-il dans ces moments privilégiés où un détail se voit ? De quelles surprises ces moments sont-ils porteurs ? Que fait celui qui regarde ‘de près’ et quelle ‘récompense’ imprévue cherche-t-il ? » s’interrogeait Daniel Arasse, qui a passé sa vie à étudier et proposer une histoire de l’art rapprochée. Christian Globensky ne répond pas, mais pose à son tour ces questions.
Isabelle de Maison Rouge
Juin 2022
L’ESPACE DIGITAL DU STUDIOLO EST PENSÉ COMME LE PROLONGEMENT NUMÉRIQUE ET EXPÉRIMENTAL DE L’ATELIER PARTAGÉ PAR LES ARTISTES ET LES MEMBRES DE L’ÉQUIPE DES TANNERIES – QUE CE DERNIER SOIT PHYSIQUE OU ENCORE MENTAL – AU FIL DES ACTIONS MENÉES.
LE STUDIOLO CONSACRÉ À LA MICRO-RÉSIDENCE ARTISTIQUE ET DE DOCUMENTATION EFFECTUÉE PAR CHRISTIAN GLOBENSKY DU 29 NOVEMBRE 2021 AU 3 JUIN 2022 PROPOSE UNE IMMERSION DANS LES TROIS PHASES DE RÉALISATION ET DE RESTITUTION D’UN PROJET FRAGMENTAIRE AUX MULTIPLES FACETTES QUI FAIT LA PART BELLE AUX ESPACES QUI COMPOSENT LE CENTRE D’ART, DANS LEURS RECOINS MÊMES.
PENSÉ ICI COMME LA SOMME DE REGARDS CROISÉS, IL EST AUSSI LE PRINCIPAL LIEU DE DIFFUSION DE CELUI POSÉ PAR ISABELLE DE MAISON ROUGE SUR LE CORPUS PHOTOGRAPHIQUE ISSU DE LA RÉSIDENCE, VIA LA RÉDACTION D’UN TEXTE SPÉCIFIQUE SUR INVITATION DU CENTRE D’ART. UN REGARD CRITIQUE QUI TROUVERA ÉGALEMENT PLACE AU SEIN D’UNE AFFICHE-PROGRAMME DÉDIÉE AU PROJET.